Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le temps qui passe

29 mars 2009

Premiers exercices de réécriture

Texte d'origine

Jonathan Coe, Bienvenue_au_club (The Rotters' club, 2001), Prologue, 2003 pour la traduction française.

Première réécriture

Comment s’étaient-ils rencontrés ? Qu’importe du moment qu’ils se rencontrent. Et puis, sait-on vraiment comment se fait une rencontre ? Elle se fait, c’est tout, par hasard… aussi par nécessité, car il faut bien que mon histoire commence.

Le fait est qu’Anissa visitait Sydney avec son père comme Ezra visitait Sydney avec son père. Le père d’Anissa et le père d’Ezra s'étaient connus, il y avait de cela des siècles. Le père d’Ezra avait même eu, secrètement, le béguin pour le père d’Anissa, lorsqu'ils étaient encore au lycée. C’est du moins ce qu’avait cru comprendre Anissa au détour d’une conversation. Dans ses rares évocations du passé, qui, le temps passant, devenaient de plus en plus fréquentes, il avait parlé du père d’Ezra et Anissa avait cru percevoir une étincelle dans ses yeux et un vibrato dans la voix qui était allé mourir dans des points de suspension, comme s’il s’était surpris à dire ce qu’il avait toujours voulu taire. Un silence s’était installé. Quelques secondes d’éternité. Et Anissa, par tendresse pour son père, avait engagé la discussion sur un autre sujet. Il n’empêche que le père d’Anissa et le père d’Ezra ne s'étaient pas adressé la parole depuis trente-quatre ans.

-         Ils sont allés où, d'après toi ? demanda Anissa.

-         Danser, sûrement. Draguer. Ces retrouvailles leur ont sans fait oublier qu’ils ne sont plus tout jeunes.

-         Tu blagues ?

-         Évidemment. Mon père n'a jamais mis les pieds en boîte. Le dernier disque qu’il a acheté, ça doit être Wish you were here.

-         Qui ça ?

-         Exactement.

-         Comment va ton père?

-         Oh, rien de grave. On est rentrés à l'hôtel, il s'est allongé un peu et il allait bien. On a attendu une heure ou deux, on est sortis flâner sur Darling Harbour et on s’est posé dans un Häagen-Dazs. C’est bien la peine d’aller aux antipodes pour se retrouver sur l’avenue des champs-élysées.

-         En tout cas, je suis plutôt contente que ça se soit passé comme ça, parce que sinon ton père n’aurait pas reconnu le mien.

-         Non, sans doute pas.

-         Et nous, on ne serait pas ici, pas vrai ? Ça doit être le destin. Rends-toi compte ! On ne s’est pas croisés sur les champs, alors que c’était infiniment plus probable.

Drôle de situation tout de même ! Leur parents s’étaient retrouvés comme deux adolescents qui s’étaient quittés la veille, après les cours. Trente-quatre années magiquement effacés ! Et, comme le destin est facétieux – il aime superposer les coïncidences -, on entendit dans le restaurant la première partie de Shine on you crazy diamond. Mais seul Ezra perçut la coïncidence et n’en dit mot à Anissa, qui, de toute évidence, ignorait jusqu’au nom des Pink Floyd.

-         Ton père parle souvent du lycée? demanda Ezra.

-         Eh bien... c'est marrant. Avant, il n'en parlait jamais. Mais depuis quelque temps, ça lui revient. Tiens, un garçon qui s'appelait...

-         Counotte ?

-         Tu as entendu parler de lui?

-         Un peu. Mon père se souvient de lui, parce que ses manières laissaient penser que son orientation sexuelle était assez trouble ; en fait, les camarades avaient découvert un vrai tombeur. Les filles aimaient peut-être sa façon de se déhancher en marchant, ou ses cheveux, si gras qu’ils tombaient en paquet et qu’il aurait été impossible d’y glisser un peigne.

-         Et des fois, papa parle de ton oncle. Ton oncle Dan.

-         Ah, oui ! Ils étaient potes, non ? Tu savais que mon père, qui n’écoutait, malgré lui semble-t-il, que ce qui passait sur RTL, doit à Dan la découverte du rock progressif ?

-         Non, il n'en a jamais parlé.

-         C’est ce qu’il m’avait semblé comprendre. Je connais tout ça par mon père, tu sais. Il n'a rien oublié de cette époque.

-         Alors raconte…

-         Eh bien...

  Mais par où commencer ? Anissa avait-elle jamais essayé d'imaginer à quoi ressemblait le monde avant elle ?

-         A vrai dire, j'ai du mal à l'imaginer, maintenant que tu me le demandes, reconnut-elle, penaude.

-         Mais tu te rappelles comment c'était quand tu étais petit. Tu te souviens de François Mitterand ?

-         Non. J'avais seulement... cinq ou six ans quand il est mort. Mais pourquoi tu me demandes ça ?

-         Parce qu'il va falloir qu'on remonte encore plus loin… Tu sais, je peux te raconter tout ça, mais tu risques d'être déçue. L’histoire s’arrête… comme ça, brutalement.

Et ils échangèrent leur premier sourire. La promesse, peut-être, d’une complicité future, tandis que l'horizon, que leur horizon était barré par les gigantesques tasses à café blanches empilées en quinconce  du Sydney’s Opera House et le rideau de bruine, fine mais intense et têtue, qui tombait du ciel australien depuis le matin. Anissa fixait avec une attention qu’elle n’avait pas soutenu jusque-là le visage d’Ezra. Elle avait peut-être été sensible à la lumière si particulière qui allumait, à ce moment précis, son regard sombre. Ou peut-être n’était-ce qu’une illusion produite par l’excitation à l’idée d’entendre des histoires venues d’un temps antédiluvien. Quoi qu’il en fût, elle se plaisait à penser que le destin les avait réunis là, tous les deux, alors qu’ils n’avaient en commun que l’histoire de leurs parents. Qui sait où allait les mener cette résurrection d’un passé dont ils étaient exclus, mais dont elle avait le sentiment qu’il les concernait au plus intime d’eux-mêmes ?

-         Alors je t'emmène, Anissa. On va remonter le temps. Jusqu'à un pays qu'on serait sûrement incapables de reconnaître. La France de 1974.

-         Tu crois vraiment que c'était si différent que ça ?

Complètement différent. Un monde sans téléphones portables, sans iphone, sans Windows, où le magnétoscope en était encore à ses balbutiements et Bill Gates et Steve Jobs dans les limbes d’une existence à imaginer. Même pas de minitel dont tu ne sais même pas qu’il a existé ! Un monde qui, s’il avait vu un prophète monter sur un baril à Boulogne-Billancourt pour annoncer la chute des tours jumelles, l’aurait lapidé, tant il était peu pensable pour une telle époque qu’une puissance aussi impériale que celle des U.S.A. fût un jour ébranlée dans sa certitude d’être à jamais détrônée. À l'époque, il n'y avait que trois chaînes de télé. Et encore ! La troisième n’avait guère plus de deux ans. Et l’après-midi, les mamans n’avaient pas d’autres choix que d’emmener leurs mioches au jardin public, parce que, l’après-midi, il n’y avait pas de programme. Et les syndicats étaient tellement puissants que s’ils l’avaient voulu, ils auraient pu condamner les mamans à aller au jardin public toute la journée, pendant plusieurs jours. Pas de MP4, pas de Xbox, pas de Nintendo, pour remplacer la télé défaillante !

Seconde réécriture

Comment s’étaient-ils rencontrés ? Qu’importe du moment qu’ils se rencontrent. Et puis, sait-on vraiment comment se fait une rencontre ? Elle se fait, c’est tout, par hasard… aussi par nécessité, car il faut bien que mon histoire commence.

Le fait est qu’Anissa visitait Sydney avec son père comme Ezra visitait Sydney avec son père. Le père d’Anissa et le père d’Ezra s'étaient connus, il y avait de cela des siècles. Le père d’Ezra avait même eu, secrètement, le béguin pour le père d’Anissa, lorsqu'ils étaient encore au lycée. C’est du moins ce qu’avait cru comprendre Anissa au détour d’une conversation. Dans ses rares évocations du passé, qui, le temps passant, devenaient de plus en plus fréquentes, il avait parlé du père d’Ezra et Anissa avait cru percevoir une étincelle dans ses yeux et un vibrato dans la voix qui était allé mourir dans des points de suspension, comme s’il s’était surpris à dire ce qu’il avait toujours voulu taire. Un silence s’était installé. Quelques secondes d’éternité. Et Anissa, par tendresse pour son père, avait engagé la discussion sur un autre sujet. Il n’empêche que le père d’Anissa et le père d’Ezra ne s'étaient pas adressé la parole depuis trente-quatre ans.

-         Ils sont allés où, d'après toi ? demanda Anissa.

-         Danser, sûrement. Draguer. Ces retrouvailles leur ont sans fait oublier qu’ils ne sont plus tout jeunes.

-         Tu blagues ?

-         Évidemment. Mon père n'a jamais mis les pieds en boîte. Le dernier disque qu’il a acheté, ça doit être Wish you were here.

-         Qui ça ?

-         Exactement.

-         Comment va ton père?

-         Oh, rien de grave. On est rentrés à l'hôtel, il s'est allongé un peu et il allait bien. On a attendu une heure ou deux, on est sortis flâner sur Darling Harbour et on s’est posé dans un Häagen-Dazs. C’est bien la peine d’aller aux antipodes pour se retrouver sur l’avenue des champs-élysées.

-         En tout cas, je suis plutôt contente que ça se soit passé comme ça, parce que sinon ton père n’aurait pas reconnu le mien.

-         Non, sans doute pas.

-         Et nous, on ne serait pas ici, pas vrai ? Ça doit être le destin. Rends-toi compte ! On ne s’est pas croisés sur les champs, alors que c’était infiniment plus probable.

Drôle de situation tout de même ! Leur parents s’étaient retrouvés comme deux adolescents qui s’étaient quittés la veille, après les cours. Trente-quatre années magiquement effacés ! Et, comme le destin est facétieux – il aime superposer les coïncidences -, on entendit dans le restaurant la première partie de Shine on you crazy diamond. Mais seul Ezra perçut la coïncidence et n’en dit mot à Anissa, qui, de toute évidence, ignorait jusqu’au nom des Pink Floyd.

-         Ton père parle souvent du lycée? demanda Ezra.

-         Eh bien... c'est marrant. Avant, il n'en parlait jamais. Mais depuis quelque temps, ça lui revient. Tiens, un garçon qui s'appelait...

-         Counotte ?

-         Tu as entendu parler de lui?

-         Un peu. Mon père se souvient de lui, parce que ses manières laissaient penser que son orientation sexuelle était assez trouble ; en fait, les camarades avaient découvert un vrai tombeur. Les filles aimaient peut-être sa façon de se déhancher en marchant, ou ses cheveux, si gras qu’ils tombaient en paquet et qu’il aurait été impossible d’y glisser un peigne.

-         Et des fois, papa parle de ton oncle. Ton oncle Dan.

-         Ah, oui ! Ils étaient potes, non ? Tu savais que mon père, qui n’écoutait, malgré lui semble-t-il, que ce qui passait sur RTL, doit à Dan la découverte du rock progressif ?

-         Non, il n'en a jamais parlé.

-         C’est ce qu’il m’avait semblé comprendre. Je connais tout ça par mon père, tu sais. Il n'a rien oublié de cette époque.

-         Alors raconte…

-         Eh bien...

  Mais par où commencer ? Anissa avait-elle jamais essayé d'imaginer à quoi ressemblait le monde avant elle ?

-         A vrai dire, j'ai du mal à l'imaginer, maintenant que tu me le demandes, reconnut-elle, penaude.

-         Mais tu te rappelles comment c'était quand tu étais petit. Tu te souviens de François Mitterand ?

-         Non. J'avais seulement... cinq ou six ans quand il est mort. Mais pourquoi tu me demandes ça ?

-         Parce qu'il va falloir qu'on remonte encore plus loin… Tu sais, je peux te raconter tout ça, mais tu risques d'être déçue. L’histoire s’arrête… comme ça, brutalement.

Et ils échangèrent leur premier sourire. La promesse, peut-être, d’une complicité future, tandis que l'horizon, que leur horizon était barré par les gigantesques tasses à café blanches empilées en quinconce  du Sydney’s Opera House et le rideau de bruine, fine mais intense et têtue, qui tombait du ciel australien depuis le matin. Anissa fixait avec une attention qu’elle n’avait pas soutenu jusque-là le visage d’Ezra. Elle avait peut-être été sensible à la lumière si particulière qui allumait, à ce moment précis, son regard sombre. Ou peut-être n’était-ce qu’une illusion produite par l’excitation à l’idée d’entendre des histoires venues d’un temps antédiluvien. Quoi qu’il en fût, elle se plaisait à penser que le destin les avait réunis là, tous les deux, alors qu’ils n’avaient en commun que l’histoire de leurs parents. Qui sait où allait les mener cette résurrection d’un passé dont ils étaient exclus, mais dont elle avait le sentiment qu’il les concernait au plus intime d’eux-mêmes ?

-         Alors je t'emmène, Anissa. On va remonter le temps. Jusqu'à un pays qu'on serait sûrement incapables de reconnaître. La France de 1974.

-         Tu crois vraiment que c'était si différent que ça ?

Complètement différent. Un monde sans téléphones portables, sans iphone, sans Windows, où le magnétoscope en était encore à ses balbutiements et Bill Gates et Steve Jobs dans les limbes d’une existence à imaginer. Même pas de minitel dont tu ne sais même pas qu’il a existé ! Un monde qui, s’il avait vu un prophète monter sur un baril à Boulogne-Billancourt pour annoncer la chute des tours jumelles, l’aurait lapidé, tant il était peu pensable pour une telle époque qu’une puissance aussi impériale que celle des U.S.A. fût un jour ébranlée dans sa certitude d’être à jamais détrônée. À l'époque, il n'y avait que trois chaînes de télé. Et encore ! La troisième n’avait guère plus de deux ans. Et l’après-midi, les mamans n’avaient pas d’autres choix que d’emmener leurs mioches au jardin public, parce que, l’après-midi, il n’y avait pas de programme. Et les syndicats étaient tellement puissants que s’ils l’avaient voulu, ils auraient pu condamner les mamans à aller au jardin public toute la journée, pendant plusieurs jours. Pas de MP4, pas de Xbox, pas de Nintendo, pour remplacer la télé défaillante !

Troisième réécriture

You may say I’m a dreamer

but I’m not the only one

I hope some day you'll join us

And the world will live as one

John Lennon

-         Si tu étais encore vivant, c’est toi qui nous rejoindrait, mon vieux Lennon !

Je ne sais si le restaurant où s’étaient installés Kévin et Marisa se destinait aux nostalgiques des années 70, mais depuis que les deux jeunes gens étaient entrés, on leur avait déjà servi Goodbye yellow brick road, How deep is your love, Logical song et maintenant Imagine. Il est difficile de définir le ton sur lequel Kévin avait fait sa réflexion ; il y avait mis comme une pointe de nostalgie – plutôt surprenant pour un garçon de cet âge – mêlée d’ironie et mâtinée d’un soupçon – tout de même suffisamment perceptible pour être retenu – de condescendance amusée, voire de franc mépris. Il ne laissa pas à Marisa le temps de répondre :

-         Tu ne trouves pas cette chanson dépassée ? Un monde sans paradis ni enfer, sans religion, sans rien à posséder, un monde seulement à partager. On n’en est plus à ces rêveries de hippies. Je comprends que Clear Channel ait demandé, en septembre 2001, de ne pas diffuser cette chanson sur les ondes. Il n’y a que ces fleurs bleues de français pour faire exactement le contraire et nous servir cette daube sur toutes les radios. On voit bien que c’est pas leur Tour Eiffel qui est tombée ! C’est indécent…

-         Quel âge tu as Kévin ? interrompit Marisa, qui semblait consternée par la diatribe de son vis-à-vis.

-         17. Pourquoi ?

-         Je te trouve sacrément amer pour un garçon de ton âge. La chanson s’appelle Imagine.

Le lecteur pourrait penser que c’était mal parti pour Kévin et Marisa. La jeune fille aurait pu être exaspérée par le ton acerbe de son interlocuteur, mais je crois qu’elle était plutôt attendrie par la souffrance qu’elle devinait derrière ce ton, peut-être dans la lumière mélancolique qui se reflétait dans les yeux sombres de Kévin… Je suis désolé, j’ai interrompu Marisa et je me mêle de ce qui ne me regarde pas.

-         Imagine. C’est suffisamment clair non ? La chute des tours jumelles, c’est pas la fin du monde. Regarde. Qui aurait pensé que nous serions là, tous les deux, face à face, aujourd’hui. La probabilité était faible non ? Je viens passer des vacances à Sydney avec mon père ; tu viens passer des vacances avec ton père à Sydney. Ton père et toi, vous décidez de faire l’inévitable balade sur Darling Harbour ; mon père et moi nous décidons de faire l’inévitable balade sur Darling Harbour et…

-         Ok. I GET IT. Nous décidons de faire cette balade au même moment, et l’inimaginable se produit : ton père rencontre mon père – il a manqué s’évanouir – Trente ans qu’ils ne s’étaient pas parlé ! Allez ! Laisse-moi deviner… tu penses que c’est le destin.

-         Oui, répondit simplement Marisa qui n’avait pas peur de paraître niaise, quelque chose comme ça. Ton père avait l’air vraiment mal. J’espère que ça va.

-         T’inquiète ! C’est un hypersensible. Il ne peut pas voir une comédie romantique sans pleurer.

-         Tu blagues !

-         Evidemment. Il n’a pas mis les pieds au cinéma depuis qu’il a 18 ans. Tiens ! La chanson de Lennon est finie…

-         Alors, imagine…

-         Quoi ?

-         Ce que nos pères sont en train de se dire en ce moment…

Pourquoi Marisa essayait-elle de se représenter ce que leur parents se racontaient ? N’y avait-il pas d’autre sujet de conversation pour deux jeunes gens qui se rencontraient pour la première fois ? Mais qu’avaient-ils en commun, sinon justement le passé de leurs parents ? La playlist du restaurant avait enchaîné sur Shine on you crazy diamond – les années 70, encore – ce qui donna à Kévin une idée de réponse :

-         Des Pink Floyd sans doute. Tu sais que ton père a initié le mien, qui n’écoutait que les tubes qui passaient sur RTL, au rock prog. ?

-         Au quoi ?

-         Ton père ne te parle jamais de ses années lycée ?

-         Si, mais la musique de cette époque,… moi, j’ai du mal à retenir les noms.

-         Alors tu veux que je te raconte ?

Ils échangèrent alors leur premier sourire La promesse, peut-être, d’une complicité future, tandis que l'horizon, que leur horizon était barré par les gigantesques tasses à café blanches empilées en quinconce  du Sydney’s Opera House et le rideau de bruine, fine mais intense et têtue, qui tombait du ciel australien depuis le matin.

-         Mais fais-moi une promesse.

-         Vas-y.

-         Quand j’aurai une panne de récit, tu m’aideras ? Tu sais, c’est pas facile de raconter l’histoire de nos parents. Et puis, mon père m’en a raconté tellement que je ne sais pas par où commencer.

-         Sans problème.

Marisa fixait avec une attention qu’elle n’avait pas soutenu jusque-là le visage de Kévin. Elle avait peut-être été sensible à la lumière si particulière qui allumait, à ce moment précis, son regard sombre. Il avait trouvé son entrée ! Ou peut-être n’était-ce qu’une illusion produite par l’excitation à l’idée d’entendre des histoires venues d’un temps antédiluvien. Quoi qu’il en fût, elle se plaisait à penser que le destin les avait réunis là, tous les deux, alors qu’ils n’avaient en commun que l’histoire de leurs parents. Qui sait où allait les mener cette résurrection d’un passé dont ils étaient exclus, mais dont elle avait le sentiment qu’il les concernait au plus intime d’eux-mêmes ?

Publicité
Publicité
Le temps qui passe
Publicité
Publicité